Dans une tribune publiée dans le Monde, un collectif de 150 marques appelle l’État à une meilleure régulation de l’Industrie de la Mode, encore responsable de 10% des émissions carbone mondiales.
Un collectif de 150 marques éthiques se mobilise contre l’hypocrisie de la Mode
Lors du G7 de 2019, la signature du « Fashion Act » voyait plus de 150 grandes marques de mode s’engager à réduire leur impact environnemental. Trois ans plus tard, les gammes « responsables » ne représentent toujours « que » 14% chez Zara voire, pire, 2% chez Uniqlo ou Mango. Et trois années seulement après ce voeu pieu collectif, l’industrie de la mode produit encore 10% des émissions mondiales et annuelles de carbone.
Devant le manque de responsabilisation mondiale et l’hypocrisie ambiante, 150 marques de vêtement éthiques se sont réunies en collectif pour signer une tribune dans Le Monde du 7 juillet. Elles y interpellent l’État pour lui demander une meilleur régulation du secteur. À commencer enfin à, non pas primer les bons élèves mais, sur le territoire français au moins, pénaliser financièrement les marques qui ne jouent pas le jeu de la réduction de l’empreinte carbone.
Dans ce collectif emmené par Julia Faure, fondatrice de la marque éco-responsable Loom, on trouve des acteurs majeurs du textile responsable comme 1083, Hopaal, Asphalte, YCCA… Des marques déjà fortement engagées dans leurs pratiques mais qui s’exaspèrent devant l’hypocrisie des grandes marques.
Comme le confie Julia Faure, « certaines marques ne mettent pas les moyens nécessaires pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°, les mesures qu’elles prennent n’ont aucun sens et ne prennent pas la mesure de l’ampleur du problème ».
Face à cette fuite en avant des gros de la mode, le collectif propose 3 axes.
Produire moins mais produire mieux
En premier lieu, le collectif lance un appel à la responsabilisation de la filière. Il faut réduire le poids environnemental de la mode et il faut le faire très vite.
Pour cela, il faut déjà s’attaquer à la surproduction. « Diviser la production de vêtements par trois et produire le reste bien » comme l’assène Julia Faure. Un appel qui résonne en France, où la production est de plus en plus encadrée par les lois environnementales. Mais dont l’écho risque de se perdre dans les pays où le productivisme reste maître. Et où l’on ne regarde guère au coût énergétique de la production et au traitement des déchets associés.
Or, si l’on a cru longtemps que les émissions de gaz à effet de serre provenaient des matières premières, on sait aujourd’hui qu’en réalité elles n’en représentent que 30%. Les 70% restants étant directement liés à la phase industrielle qui sert à transformer la matière première en vêtement.
De fait, il est donc crucial de pouvoir contrôler la pollution engendrée par la phase industrielle, mais également de parvenir à réduire le volume de production. Donc le nombre de collections sorties chaque année.
Freiner l’incitation à la surconsommation pour lutter contre la surproduction
Mais si les marques sortent de manière aussi frénétique des collections tout au long de l’année, c’est aussi pour nourrir ce phénomène de « mode jetable », dont les grandes griffes graissent évidemment les rouages au nom de la sacro-sainte pensée libérale du « je vends donc je suis ».
Pousser le consommateur à acheter et à acheter encore dope la surproduction. Comme l’expose Julia Faure, « comment résister à un tee-shirt ou à un sac à dos à 3 € ? » S’il est sans doute utile d’inciter le consommateur à se raisonner, c’est surtout aux marques qu’il faut demander de ralentir la cadence.
Et que celles qui refusent de jouer le jeu en paient le prix.
Frapper les mauvais élèves au portefeuille avec la taxe d’éco-conception
Le constat des signataires de la tribune est implacable. « En tant que marques éthiques, nous voyons bien que notre démarche ne suffit pas à diminuer l’impact environnemental du secteur. Il n’est pas suffisant de faire bien, il faut arrêter de faire mal… »
Plus une entreprise pollue, moins sa production lui coûte cher et plus elle est compétitive. D’où la sourde oreille ou la fausse affection de certaines grandes marques, qui produisent énormément de volumes, et dont l’obsession reste la rentabilité à tout prix.
S’il existe bien une taxe d’éco-conception – jusqu’à 6 centimes par vêtement – qui « tient compte de l’incorporation des matières recyclées dans le produit » et de sa durabilité, elle n’enregistre en aucun cas les pratiques commerciales de la marque.
De fait, toutes les entreprises ne sont pas égales face à cette taxe. Plus encore, la méthode de calcul actuelle favorise les grandes marques qui peuvent plus innocemment encaisser les coûts des tests de durabilité. Ainsi, de grandes marques faisant l’objet d’enquêtes sur leurs conditions de travail obtiennent tout de même un excellent score d’éco-conception.
Aussi, cette taxe devrait aussi servir à trier le bon grain de l’ivraie et influer plus fortement sur le prix de vente.
Aujourd’hui, elle n’est que peu incitative, que ce soit pour le consommateur… comme pour les marques. Comme se désole Julia Faure, « la taxe de 6 centimes sur chaque produit, ça n’incite pas du tout une entreprise à améliorer sa production ».
Changer les règles de la Mode tant qu’il est encore temps…
C’est pourquoi, alors que les critères de calcul et d’attribution de l’éco-contribution des vêtements vont être revus dans les prochains mois et pour les 5 années à venir, le collectif des 150 appelle l’État à les réviser et à adopter une méthode qui prenne en compte 3 éléments.
Tout d’abord, augmenter le plafond maximum de la taxe de 6 centimes à 5 € pour qu’elle soit réellement incitative. Ensuite, la caler prioritairement sur les émissions de gaz à effet de serre pour favoriser les productions responsables. Enfin, évaluer et pénaliser les stratégies commerciales agressives pour freiner les volumes de production.
Bref, faire de cette taxe d’éco-contribution un véritable outil de traçabilité qui, outre le prix, pourra « permettre aux consommateurs de savoir exactement par où est passé le produit avant qu’il n’arrive jusqu’à lui ».
Nourri par la disparité des mesures environnementales internationales et des conditions de production, l’éco-responsabilité dans la mode et le textile est un combat sans merci, très ardu mais essentiel.
Ainsi, après l’appel des 150, la balle est dans le camp de l’État pour arbitrer ce champ de bataille, au moins sur le territoire français.
Mais la balle est aussi dans le nôtre, ne l’oublions pas !