Alors que, depuis 2015, la vie est loin d’être un long fleuve tranquille pour les Oscars, violemment accusés d’être « trop blancs », l’Académie qui les organise présentait ce 8 septembre une véritable réforme pour s’ouvrir à la diversité et à la représentation des minorités. Vraie révolution ou nuage de fumée hollywoodien ?
Vent mauvais pour les Oscars depuis 2015
Flashback : nous sommes en 2015 et différentes initiatives lancent le mouvement #OscarsSoWhite sur les réseaux sociaux. Leur but : dénoncer activement le manque de diversité aux Oscars et la place ridiculement mince faite aux minorités parmi les nominés. Comme un fond de bus dans les années 50…
Chaque édition suivante a suscité son lot de polémiques. Celles-ci ont fait enfler une crispation que les récents troubles sociaux aux États-Unis et le mouvement #BlackLivesMatter ont finalement identifiée comme l’un des symptômes d’une maladie plus large.
Un milieu du cinéma américain non représentatif de la population américaine
Avant même la dernière édition des Oscars, un récent article du Courrier International citant le Financial Time faisait état que « 40% des Américains ne sont pas blancs, or entre 2016 et 2019, ces 40% des Américains n’ont compté que pour 33% des rôles dans les films grand public (sortis aux États-Unis), et seulement 17% dans la sélection des Oscars ».
Consciente du besoin de se donner un peu d’air, l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, organisatrice des Oscars, se devait de réagir pour ne pas couper les plus anciennes et prestigieuses récompenses du 7e Art de leur public.
Une première réforme de l’Académie entre 2016 et 2020
L’Académie compte donc désormais 33% de femmes (contre 25% en 2015).
Accusée d’avoir un jury trop blanc et trop masculin, l’Académie montrait dès 2016 son volontarisme en promettant de doubler très vite le nombre de femmes et de membres issus des minorités.
4 ans après, l’Académie présentait la liste des 819 nouveaux membres intégrés cet été. 45% de femmes et à 36% de minorités ethniques « sous-représentées dans l’organisation » la composaient. L’Académie compte donc désormais 33% de femmes (contre 25% en 2015).
Parmi les nouvelles arrivées, on peut citer les comédiennes Zendaya, Zazie Beetz, Ana de Armas, Yalitza Aparicio, Awkwafina, Cytnhia Erivo ou encore Eva Longoria. Des femmes qui ont en plus le mérite d’être issues de minorités…
Quant aux minorités sous-représentées (de membres « non blancs ») justement, leur nombre a triplé pour passer de 554 membres en 2015 à 1 787 en 2020. Mais, pour cela, l’Académie s’est beaucoup internationalisée (comme avec l’arrivée des réalisateurs français Ladj Ly et Jérémie Clapin, par exemple), multipliant par 3 ses effectifs étrangers. Ces derniers se dénombrent aujourd’hui à plus de 2 100 membres sur un total d’un peu moins de 10 000 jurés.
Mieux encore, la moitié des nouveaux membres du jury ne sont pas Américains et sont issus de 68 nationalités différentes.
Acculés, les Oscars s’ouvrent à la diversité
ces nouveaux critères permettront aux Oscars de « refléter la diversité de notre population mondiale, tant dans la création de films que dans les publics qui les fréquentent. »
Le 8 septembre dernier, l’Académie des Oscars en remettait donc une couche et présentait sa nouvelle réforme. Et cette dernière vise ouvertement à faire une véritable promotion de la diversité sur les écrans et au sein des nominés. Elle est composée de 4 critères auxquels les films devront répondre pour pouvoir être éligibles aux prestigieux prix.
Largement inspirées des BAFTA (équivalents britanniques des Oscars), ces nouvelles mesures ne devraient toutefois pas affecter la production cinématographique avant… 2024 ! Elles entreraient alors en vigueur pour la 96 édition, en 2025.
Pour Dave Rubin (président de l’Académie) et Dawn Hudson (PDG des Oscars), ces nouveaux critères permettront aux Oscars de « refléter la diversité de notre population mondiale, tant dans la création de films que dans les publics qui les fréquentent. »
De nouveaux critères pour favoriser la diversité à l’écran
En première ligne de ces nouvelles mesures, on trouve les critères de représentation que les films qui souhaitent concourir devront remplir (ainsi que plusieurs sous-critères) :
A / La diversité à l’écran
1) un rôle principal ou secondaire important devra provenir d’un groupe « racial » ou ethnique sous-représenté ;
2) au moins 30% des rôles secondaires devront provenir de deux groupes sous-représentés (les personnes provenant d’un groupe « racial » ou ethnique sous-représenté, les femmes, les personnes s’identifiant comme LGBTQ+ ou les personnes handicapées);
3) l’intrigue principale, le thème ou le récit sont axés sur un groupe sous-représenté.
B / La diversité au sein de l’équipe du film
1) au moins 2 postes de direction ou chefs de département (directeur de casting, directeur de la photographie, compositeur, costumier, réalisateur, monteur, coiffeur, maquilleur, producteur, chef décorateur, son, superviseur des effets spéciaux, scénariste) sont issus d’un groupe sous-représenté et au moins un d’un groupe « racial » ou ethnique sous-représenté.
2) 6 membres de l’équipe du film au minimum sont issus d’un groupe « racial » ou ethnique sous-représenté.
3) au moins 30% de l’équipe du film est issue d’un groupe sous-représenté.
Les Oscars indiquent penser « que ces normes d’inclusion seront un catalyseur pour un changement durable et essentiel dans notre industrie ».
C / La diversité dans la formation et l’accès à l’industrie cinématographique par le biais de stages et d’apprentissages rémunérés pour des personnes provenant de groupes sous-représentés
D / La diversité au sein de l’équipe chargée du développement et de la sortie du film (équipes de marketing, de publicité et de distribution)
Si l’on ne peut qu’applaudir des deux mains ces propositions, comme lors d’une remise de cérémonie sans polémique, l’enthousiasme retombe un peu quand on se penche de plus près sur leur dimension finalement très peu contraignante.
Une réforme louable mais des dents qui grincent quand même
Un cadre peu contraignant, très facile à contourner par les productions, qui a d’ores déjà subi les critiques d’une partie de la presse et des professionnels.
Si le volontarisme de l’Académie des Oscars reste louable – surtout dans l’Amérique de Trump -, il fait tout de même toujours grincer quelques dents tant il est peu contraignant, tant pour la diversité à l’écran que dans les équipes des films.
Par exemple, pour qu’un film soit éligible, il lui suffira de répondre à 2 de ces 4 méta-critères. Par exemple : il suffira que la Chef Costumière soit une femme afro-américaine (critère B) et qu’un comédien asiatique décroche un second rôle (ou de type asiatique) (critère A) pour que l’Académie considère le film comme éligible. Ainsi, il répondrait à 2 critères sur 4 !
De même, et alors que les critères C et D seraient presque les plus intéressants car ouvrant l’accès à la formation et l’emploi, rien ne vient contraindre une production à forcément s’engager sur ces pistes et à les pérenniser.
Un cadre peu contraignant, très facile à contourner par les productions, qui a d’ores déjà subi les critiques d’une partie de la presse et des professionnels.
Des minorités toujours à l’arrière-plan des grosses productions
Les minorités ne restent pour l’heure que d’éphémères cautions administratives de diversité et de moralité, pas de véritables engagements moraux et artistiques.
Enfin, le formalisme de cette réforme ne doit pas faire oublier la récente prise de parole de John Boyega, l’acteur révélé par la dernière trilogie Star Wars. Il a dénoncé avec virulence le double discours du plus gros studio actuel, à savoir Disney, qui se targue d’oeuvrer pour la diversité. Affichant à l’écran des personnages censés représenter les minorités, le montage final finit par les sacrifier et, relegués à l’arrière-plan narratif, ils ne servent finalement que de tapisserie morale (cf. le développement des personnages de Finn et de Rose Tico dans la dernière trilogie).
Beaucoup de blockbusters aujourd’hui présentent des scénarios qui semblent calqués sur un cahier des charges inclusif des minorités. Que ce soit les Afro-américains, les Asiatiques, les personnes souffrant de handicap, les LGBTQ+, « les groupes raciaux ou ethniques sous-représentés » comme les nomme le communiqué de l’Académie. Certes, ils apparaissent dans les grosses productions, mais peu d’entre eux jouissent d’un rôle de premier plan et d’une véritable exposition. Les minorités ne restent pour l’heure que d’éphémères cautions administratives de diversité et de moralité, pas de véritables engagements moraux et artistiques.
Gageons donc que cette réforme est un premier pas encourageant qui entrouvre la porte. Il faudra faire en sorte qu’elle ne se referme plus et que l’Art n’ait plus à tenir compte de « grilles de représentation » pour laisser libre court à la création.
Une good news donc mais à surveiller de près…