Si vous descendez en gare de Saint Denis, n’hésitez pas à aller jeter un coup d’oeil à l’étonnante librairie qui trône sur le parvis. Son nom ? « Dealer de livres ». Celui du dealer ? Luc Pinto Barreto, qui souhaite « amener le livre là où il n’est pas assez présent ».
Drôle d’endroit pour un deal
Sur le parvis de la gare de Saint Denis, l’une des plus grandes d’Ile de France, trône un conteneur aménagé en librairie, cocassement baptisée « Dealer de livres ».
Le dealer s’appelle Luc Pinto Barreto. Autodidacte et passionné de littérature, il vous accueillera avec le sourire et l’envie folle de vous faire goûter à des auteurs et des oeuvres qui lui tiennent à coeur. Selon vos humeurs et vos envies.
Et, peut-être que la question vous brûlera les lèvres, et que vous ne pourrez pas vous empêcher de la lui poser : pourquoi sur le parvis de la gare ?
Et il vous répondra sûrement « J’ai vraiment eu un coup de cœur pour ce parvis. Je me suis dit, c’est un super espace, c’est vivant, il y a plein de monde. »
En effet, avec les 90 000 personnes qui passent quotidiennement devant sa librairie, il en voit passer, des clients potentiels…
Une oasis dans le désert
En ouvrant « Dealer de livres » au début de l’année 2020, Luc Pinto Barreto a doublé le nombre de librairies dans la ville de Saint Denis. Une gageure pour une ville de 110 000 habitants, la 3e plus grande d’Ile de France.
Mieux encore, le département de Seine Saint-Denis est le moins bien pourvu en librairies en France, avec un nombre de 12 pour une population de 1,6 millions d’habitants !
Il n’y a donc pas de hasard à ce que Luc Pinto Barreto ait choisi de s’implanter là, où il a souhaité « amener le livre dans des espaces où il n’est pas assez présent, de l’amener à des personnes qu’on dit « éloignées du livre », et participer à la vie de quartier. »
Conscient de ne pas pouvoir forcément changer les choses seul, il sait toutefois ce qu’il peut apporter : « C’était aussi l’envie de participer à la vie du quartier, d’être un peu un acteur du quartier sans être sans cesse dans la plainte de tout ce qui pouvait se passer de moins bon, on va dire. Et c’est comme ça que j’ai réuni ces deux convictions : l’envie d’être libraire et l’envie de faire quelque chose, là, dans mon environnement direct ».
Un parcours qui n’allait pas de soi
Mais son parcours n’a pas forcément été un long fleuve tranquille avant de poser sa librairie sur le parvis de la gare. De fait, quand on le survole, ne ressortent que ténacité, passion, courage et foi.
Après un DUT de Génie Thermique et Energies et une Licence pro d’Efficacité Energétique et Energies renouvelables, il obtient en 2013 un diplôme de responsable technique hôtelier.
Pendant 5 ans, Luc Pinto Barreto va être technicien de maintenance dans l’hôtellerie, d’un hôtel Ibis aux grands palaces parisiens comme le Peninsula ou le Pullman Paris La Défense. Il se souvient de cette époque avec le sourire : « C’est vraiment un autre monde, l’argent, le faste, le luxe etc. C’était vraiment une super expérience. Ce qui me déplaisait, c’était les trois-huit. »
Toutefois, sa passion de la littérature le gratouille en parallèle. Si bien qu’il se lance dans la chronique littéraire en 2015 et monte sa propre chaîne Youtube, sous les pseudonymes de « Dealer de livres » ou encore « Annibal Lecteur ».
Arrivé fin 2018 dans le quartier où il réside aujourd’hui, il décide alors de vivre de sa passion et de devenir libraire.
Après un stage dans la seule librairie dyonisienne « Folies D’encre », où il valide une formation de vendeur, il choisit son spot : il dealera les mots sur le parvis de la gare de Saint Denis.
De juillet à novembre 2019, il se lance dans une première phase d’expérimentation avec, pour seuls rayonnages, une table et un paravent sur lesquels il propose sa sélection aux passants.
« Dealer de livres », de la table au conteneur
Conditions de travail, condition féminine, financement de l’école publique, racisme et panafricanisme, les thèmes des livres qu’ils proposent répondent aux problèmes de société contemporains et à ceux auxquels il est particulièrement sensible.
De plus, ses origines cap-verdiennes et martiniquaises lui ont très vite inculqué un goût sûr, et il n’est pas étonnant de trouver Aimé Césaire, Dany Laferrière ou Malcolm X en bonne place dans sa librairie à l’air libre.
Des noms d’auteurs qui rejoignent ses préoccupations : « J’aime beaucoup le livre pour tout ce que ça peut permettre de penser, dce questionner, mais aussi pour aller au-delà du livre, pour voir ce qu’on peut mettre en place une fois qu’on l’a lu, qu’on est au courant de tel ou tel sujet ».
Dès lors qu’il avait les livres et qu’il commençait à se créer sa petite clientèle, il lui fallait donc des murs, comme il le témoignait à France Info : « Je n’avais pas forcément les moyens de louer des locaux classiques avec un bail etc, donc pour pouvoir diminuer au maximum les charges fixes, l’idée c’était d’être dans l’espace public comme les food trucks pour vendre des livres au lieu de vendre de la nourriture ».
Suite à l’achat d’un conteneur aménagé, il a ainsi pu ériger sur le parvis de la gare une véritable petite librairie. Financée avec 33 000 euros issus de ses propres économies, d’une cagnotte en ligne, et de deux subventions, il jouit maintenant d’un outil bien plus satisfaisant. Dorénavant, il peut proposer un plus grand choix d’oeuvres (qu’il peut ainsi mettre à l’abri) aux passants, voyageurs ou résidents du quartier qu’il peut aussi accueillir dans de meilleures conditions. Un lieu où il envisage même de faire de l’animation culturelle.
Un dealer plutôt bienvenu
Bien entendu, la mairie socialiste de Saint Denis ne peut voir que d’un bon oeil l’initiative de Luc Pinto Barreto, et lui a montré son soutien en l’exonérant de loyer pour les 3 prochaines années.
Quant à l’accueil du public, il a été très chaleureux, comme en témoigne cette passante : « Oui, il y avait besoin d’endroits comme ça, évidemment. Ça a l’air d’être un bel endroit, et j’adore le principe d’une caravane face à la gare ».
Peu à peu, « Dealer de livres » a fait son trou en face de la gare, et son effet positif sur le quartier commence à se faire sentir, comme en témoigne Abdoul Hai Konaté, agent de sécurité à la gare : « Pour moi, c’est une très bonne idée, ça amène des choses à la ville. Il m’a conseillé et j’ai pris des bouquins pour mes trois enfants et moi, pourtant ce n’est pas dans mes habitudes ».
Même s’il est parfois témoin d’accrochages plus ou moins violents, il n’y a jamais été mêlé et ressent même du respect, à son égard et à celui de sa petite entreprise.
Alors, si vous descendez un jour gare de Saint Denis, n’hésitez pas à vous rendre sur le parvis pour y rencontrer le dealer de livres. Il vous y attendra avec le sourire et l’envie de partager avec vous ses meilleurs produits, avec de bonnes doses d’humanisme et de tolérance.
Si on pouvait ne jamais redescendre d’un shoot à ces deux substances…
Source : AFP